Interview par Requiem (Romain Le Vern)
Le 12.12.2002

DANS MA PEAU - MARINA DE VAN

La première fois qu'on a vu Marina de Van en tant qu'actrice, c'était dans Regarde la mer (1997), un moyen-métrage terrifiant de François Ozon dans lequel elle interprétait une étrange routarde qui cherchait des noises à une jeune femme esseulée avec son bébé. Ce qu'on ignorait à l'époque, c'est que Marina était également la réalisatrice d'une série de courts métrages dont le Bien sous tous rapports (1996) où elle assistait à une leçon de fellation par ses parents. On l'a revu par la suite dans Sitcom (1998), le premier long d'Ozon, dans lequel elle jouait une nymphomane paraplégique qui aimait mettre des cordes autour de son cou et porter des lunettes noires pour mieux envoyer chier son petit copain. Par la suite, elle a continué la collaboration avec François. Aujourd'hui, elle sort Dans ma peau, son (très) beau premier long métrage, dans lequel elle a tout fait (réalisation, scénario, interprétation) et bien.

Le titre du film devait être Coupures. Pourquoi finalement Dans ma peau ?

Coupures était un titre juste, mais un peu austère, un peu froid. Cela mettait un peu trop l'accent sur les blessures et avait quelque chose de trop repoussant. Dans ma peau est un titre que je trouve plus accueillant, plus doux, sans être pour autant mensonger.

D'où vient l'idée du film ?

L'idée du film est venue de l'intérêt que je porte à l'expérimentation du corps et du rapport que nous entretenons avec lui, tout ce qui touche au corps, à ce que cela peut avoir d'étrange. Le corps est souvent montré comme objet de séduction, comme représentation sociale, soumis à des modes ou des obligations culturelles, sexuelles... Moi, j'avais envie d'aborder le thème de manière plus élémentaire : le corps comme matière. Ce qui suggère une distance entre soi et son corps.

Vous êtes à la fois actrice et réalisatrice de ce premier film, concilier les deux n'était-il pas difficile ?

Bien sûr. D'ailleurs, je ne compte plus du tout jouer dans mes films. Je n'ai pas aimé assumer deux emplois aussi considérables. J'adore jouer et j'espère que ça va continuer. Mais s'il ne fallait faire qu'une seule chose, je choisirais de réaliser plutôt que d'écrire ou de jouer. Je ne compte plus m'écrire de rôles, j'espère que d'autres cinéastes m'en proposeront...

La perspective d'être seule à l'écran pendant si longtemps, notamment lors des dernières scènes, ne vous a pas effrayé ?

Non. Et vous, ça vous a effrayé ? (rires). Le problème était d'ailleurs là dès le départ, dans l'incarnation d'un personnage. Est-ce que les gens vont s'accrocher à moi ? Il fallait absolument que le spectateur s'accroche à moi pour être ému. Ce genre de pari pouvait être réussi ou raté. Selon moi, il ne faut pas trop y penser sinon on devient incapable de jouer. L'action porte ces scènes de solitude et définit beaucoup les personnages en plus du jeu. C'est ça qui habite une scène, mais je n'ai jamais eu l'impression que la réussite de ce thème  reposait entièrement sur mes épaules. Je voulais que l'action soit intense et je n'étais qu'un élément de cela.

Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans la mise en scène ?

Je suis passionnée par le découpage. J'adore concevoir une organisation dans l'espace. La composition des cadres m'intéresse par exemple plus que l'écriture des dialogues.

Quand on voit les personnages que vous campez dans Regarde la mer, Sitcom et celui de Dans ma peau, on peut se demander d'où vous vient ce goût pour les personnages extrêmes.

Je n'ai pas le goût pour les personnages extrêmes. Je conçois qu'on puisse le penser parce que, pour l'instant, je n'ai joué que cela. Mais je ne suis pas très frileuse et j'aime bien jouer, me déguiser, faire le pitre. De ce fait, je me prête facilement et souvent avec plaisir à toutes ces sortes de rôles. Quand ce sont des choses improbables ou très éloignées de moi, je trouve ça vraiment marrant. Du coup, ça favorise le choix de ce type de rôle. J'aime bien les personnages extrêmes dans le sens "marqués" mais pas trash...

Certains spectateurs risquent de trouver Dans ma peau trash...

Personnellement, je ne pense pas que le film soit trash. Selon moi, ce n'est pas ça le trash. Dans le trash, il y a l'idée de quelque chose d'un peu glauque, crade. Là, au contraire, c'est très lisse, très soigné et l'image est épurée. L'action est dure mais je ne trouve pas qu'elle soit trash.

Vous êtes la grande complice de François Ozon. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Je rentrais à la FEMIS, lui venait juste d'en sortir. On s'est rencontrés quand il est venu voir les films de seconde année. Il y avait mon court métrage Bien sous tous rapports que j'avais mis en scène et dans lequel je jouais également. Je lui ai plu comme metteur en scène et comme comédienne. Il m'a donc proposé le rôle de Regarde la mer. Et, à partir de là, une complicité s'est développée. Par la suite, on a souvent travaillé ensemble de façon différente: il y a eu ces deux rôles (Regarde la mer et Sitcom) puis le travail sur les scénarios (sur Sous le sable et Huit femmes). C'est un cinéaste que j'aime beaucoup, que j'estime et avec lequel j'aime beaucoup travailler.

Le film a été présenté au dernier festival de San Sebastian. Comment fut l'accueil ?

Le film a beaucoup fait parler de lui [NdlR: il a créé un petit scandale en raison des scènes de cannibalisme et de mutilation]. Finalement, l'accueil fut très positif. Les gens étaient très attentifs au film, intéressés, touchés et bienveillants. Il n'y a pas eu de rejet ni d'agressivité. Lors des débats, les questions étaient d'ailleurs souvent très intéressantes.

Votre frère Adrien avec qui vous jouiez déjà dans Sitcom, fait une apparition dans Dans ma peau. Envisagez-vous de faire quelque chose avec lui plus tard ?

J'aimerai beaucoup le mettre en scène. Mais, pour les courts métrages et le long, les personnages masculins étaient trop âgés. C'est un acteur qui a beaucoup de talent, quelqu'un de très agréable avec qui j'ai une grande complicité aussi bien personnelle qu'intellectuelle.

 

 

Vous pouvez retrouver cette interview sur le site www.mad-movies.com

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